Les petites pierres de Daï Shihan XVIII : Bunkai 2

Publié le 16/12/19
AFDP Nanbudo
Les petites pierres de Daï Shihan XVIII : Bunkai 2

Précautions d’usage : au fur et à mesure que j’ai avancé dans cet article, je me suis demandé si je ne risquai pas de brider des recherches, réflexions, essais. Par conséquent mon article s’est étoffé de beaucoup de points de vigilance, j’espère qu’il ne sera pas trop indigeste ou confus.
Ce qui suit n’est donc pas une recette, un prêt à porter, des directives, mais un essai d’ouverture vers…des possibilités d’enrichir et de diversifier, des outils.

Départ :
Ikken Hissatsu : « tuer en un seul coup », peut nous permettre d’avoir une ligne directrice dans notre recherche, mais sans en faire un absolu.

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En effet, ce serait contradictoire avec le Budo : si l’on peut désamorcer par des frappes graduelles, décourager par notre attitude, si l’on peut immobiliser, si, si, si : on n’est pas forcé d’arriver jusqu’à une fin ultime.

En fait nous ferons tout pour ne pas y arriver mais, MAIS, encore faut-il pouvoir y arriver si on le décide !

Même si ici je ne vais écrire que sur l’aspect technique du Bunkai (il faudra aborder les aspects stratégiques, symboliques, énergétiques, psychologiques), même si je ne vais pas traiter du combat de rue, de self défense, j’y ferai souvent allusion car le Bunkai, à l’origine, est fait pour cela, cela fait partie du Nanbu Goshin Jutsu.

Je vais m’inspirer d’un travail effectué par Areski Ouzrout dans son livre : « L’art de décoder les katas » mais aussi de la critique de ce livre par Sakura Senseï, ainsi que des écrits de Roland Habersetzer, Kenei Mabuni et Lionel Froidure.

Différents Bunkai.

Selon ces auteurs et d’autres experts il y a plusieurs appellations ou déclinaisons du Bunkai. Je n’écris pas ça pour apprendre de nouveaux mots en japonais mais seulement, pour ceux qui font des recherches, bien voir qu’en japonais, comme en Français on peut utiliser un mot pour dire des choses différentes et on peut également utiliser des mots différents pour dire la même chose.

Tout d’abord il y a Omote Bunkai no Kata : Omote 表, c’est ce que l’on montre, ce que l’on expose, ce qui est apparent. En Budo c’est le premier niveau de l’apprentissage, celui des techniques au niveau gestuel.

Là, on respecte quasiment à la lettre la forme du Kata, comme ce que nous a appris Nanbu Doshu Soke pour les Nanbu Kata (quelle chance ! pour les autres kata en karaté, nous avons rarement cela). En fait c’est le Bunkai qui permet de comprendre les gestes techniques que l’on effectue.

Après, il y a Ura Bunkai no Kata. : Ura 裏, c’est la partie opposée de Omote, la partie cachée.

Bien sûr il y a eu des tonnes de littératures sur Omote/Ura, comme pour le Ying et le Yang.  C’est aussi très utilisé en Aikido et dans certaines écoles de Ken Jutsu.

Pour ce qui nous concerne, de la partie cachée on n’est pas loin de la partie secrète du Kata, celle que l’on ne transmettait dans les anciens temps que à son successeur, ou au moins à ceux de confiance.

Mais d’autres utilisent le terme Oyo Bunkai no Kata : Oyo 応用 application, mise en pratique dans des circonstances réalistes.

Enfin certains séquencent beaucoup plus les exercices de cette face Ura, avec des termes différents à chaque fois, et parlent de Jutsu, pour la recherche d’efficacité maximale de l’application des Kata.

En ce qui me concerne je n’utilise que très peu ces termes : il y a les Bunkai fidèles à la lettre des kata pour les apprendre, il y a différents exercices possibles concernant les Bunkai permettant d’appréhender toute la richesse des kata, il y a des bunkai « spectaculaires » pour le spectacle, les Bunkai pour les passages de grade, les bunkai où l’on cherche la mise en pratique de Hikken Hissatsu, les bunkai pour se rapprocher d’une utilisation possible réelle.

Donc, Ura, Oyo, Jutsu, et bien d’autres appellations sont l’objet de cet article.

Cohérence avec Ikken Hissatsu :

On peut décliner un certain nombre de principes pour rester fidèle à Ikken Hissatsu avec la mise en garde donnée au départ de cet article.

1) On ne part pas sur une suite d’enchainements de mouvements où l’on prévoit la réaction de l’autre comme si c’était écrit, mais on veut terminer le combat au plus vite, avec le moins de prise de risque possible.

Donc, Sen no Sen où on n’empêche l’adversaire de développer son action, ou Go no Sen où après une esquive ou un blocage on conclut !

Mais la situation est différente si l’on domine l’adversaire ou si on subit, et lorsque l’on est débordé on n’utilise pas les mêmes techniques, et, souvent je pense, il faudra enchainer des techniques de défense avant d’avoir l’opportunité de contrattaquer.

2) Zanchin, encore une fois, c’est avant, pendant et après, donc on se prépare à enchainer, sans savoir quoi à l’avance. Surtout, on ne se démobilise pas après la dernière technique effectuée que l’on croit définitive, d’où le « contrôle » que nous a enseigné Nanbu Doshu Soke et qui peut s’effectuer de manières différentes et, si nécessaire, on enchaine en essayant que l’autre ne puisse reprendre l’initiative. Si l’adversaire à déjoué notre contre-attaque, ou si tout bêtement on a loupé son coup, il faut bien réagir !

3) Si on veut rester très réaliste, c’est-à-dire tenir compte de l’état de stress dans lequel on n’est et la possibilité de voir surgir d’autres adversaires, il faut rester sur des gestes simples et économes en énergie, sans condition physique trop élevée (ce qui veut dire en amont travailler sa condition physique, « entretenir le matos » comme dit Dominique Valéra). Mais là encore, celui qui n’a pas besoin d’échauffement pour avoir une souplesse maximale peut effectuer des techniques Jodan s’il ne prend pas de risque d’équilibre avec la nature du sol.

Et puis si le stress peut bloquer il peut également permettre des exploits, et la même personne peut se trouver dans des situations différentes.

4) Il faut réagir à des attaques non stéréotypées (personne ne va attaquer en Oï Tsuki !), à des distances différentes, dans des angles différents, donc pour nous, surtout s’habituer à des attaques à courtes distances, en frappe, en saisie, en saisie suivie d’une frappe, avec une arme, ou à des distances longues notamment avec des armes.

Si nous ne sommes pas là dans le combat de rue, nous ne sommes pas non plus en démonstration (rappelez-vous, ce qui est visible, ce qui est démontré Omote), en compétition sportive, en passage de grade (quoique dès fois, mais on n’a quand même intérêt à reconnaitre le Kata, ce qui n’est pas toujours le cas avec un Ura Bunkai !). Il n’y a ici aucun jugement de valeur, une belle compétition, une belle démonstration spectaculaire, des séances de Bunkai nettes en passage de grade sont très intéressantes. L’objet n’est pas le même, c’est tout.

Comme en Iai Jutsu, Ken Jutsu, nous ne nous pressons pas mais tout notre être est tendu pour désamorcer…ne pas commencer…commencer de manière dosée…en finir au plus vite, mais sans état d’esprit préconçu, sachant que toute situation de ce type est nouvelle !

Mais, des principes ne veulent pas dire qu’il y a des règles ; il n’y a pas de règles en combat réel, les situations ne sont jamais les mêmes. Si possible la fuite est une bonne solution, ou se désengager avec une frappe rapide, une dessaisie… et fuir… excepté si nous portons secours !

Nous nous retrouvons donc en recherche personnelle ! il n’y a pas de dogme, de Bunkai officiel, des Bunkai peuvent bien être adaptés à certains et pas à d’autres, selon l’âge, l’expérience, le gabarit, l’état de santé etc…

Et on adapte en fonction de l’adversaire ! plus grand, plus lourd, plus rapide etc…

Il faut surtout se désintoxiquer de présupposés comme abordé un peu dans la première partie de cet article.

  • Une même technique, avec ou sans adaptation, peut-être une attaque, une défense, un blocage, un balayage, une dessaisie ou une saisie, une torsion...
  • Il en est de même des hikite différents que nous connaissons, ils peuvent n’être qu’un facteur d’équilibrage et/ou de puissance de frappe, mais aussi une saisie, un tirage, une frappe, une torsion etc…
  • Les sauts et changements de directions peuvent aussi s’interpréter comme des projections ou autres.
  • On n’est pas forcé de respecter l’Embusen, donc l’adversaire ne vient pas forcément de la gauche comme dans le kata , on n’est pas forcé d’avancer comme dans le kata etc…
  • Il faut penser quelques fois à passer derrière l’adversaire.

J’en oublie, bien sûr, mais il faut lister l’essentiel et à partir de là, travailler les kata, travailler les bunkai, techniques par techniques, enchainements par enchainements, changer les attaques soit avec la distance, soit essayer sur atemi, saisie, torsion etc…

Créer des incertitudes sur l’angle d’attaque, sur le type d’attaque, sur l’attaquant lorsqu’il y en a plusieurs….

Quelques exemples de recherches possibles :

Attaque simple : on modifie

•       La distance : de loin (possible avec une arme), distance habituelle de Nanbudo, courte distance.

•       L’angle d’attaque : face à l’adversaire, plus ou moins de côté, de derrière

•       Le niveau de l’attaque : bas, moyen, haut

•       Le moyen d’attaque : pied, genou, coude, main, autre

•       Le type d’attaque : atémi, saisie…

Attaque complexifiée : de simple elle peut devenir combinée, enchainée, prévue, prévue parmi quelques possibilités, imprévue, d’un seul adversaire ou de plusieurs adversaires, à main nue ou armée.

La défense simple : on modifie

•       Le niveau de la défense

•       L’angle

•       Le déplacement : reculer au lieu d’avancer, gauche au lieu de droite, intérieur au lieu d’extérieur, on essaie de passer derrière l’adversaire…

•       L’ordre des gestes : entre les bras, entre bras et jambes, entre déplacement et geste bras …

•       Le type de défense : atémi, kansetsu, Nage.

La défense complexifiée : de simple elle peut devenir combinée, enchainée, avec plusieurs adversaires, à main nue ou armée.
  •         On travaille avec des degrés d’incertitude croissantes : deux possibilités

d’attaques définies, trois possibilités d’attaques définies … La même chose lorsque l’on est attaqué dans le dos.

 

Et on essaie, et on essaie, et on trie, et on échange, et on essaie, et on progresse ensemble.

On voit bien que les exercices pédagogiques sont illimités, et ce que l’on ne retiendra pas ne sera pas une perte de temps.

Alors bonne recherche et n’oubliez pas de vous faire plaisir !


Carel Stéphane Daï Shihan

AFDP Nanbudo

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