Les petites pierres de Daï Shihan LXV - Tori

Publié le 04/06/25
AFDP Nanbudo
Les petites pierres de Daï Shihan LXV - Tori

Une volonté de la direction technique national de l'AFDP Nanbudo est de valoriser le rôle de Tori. C'est effectivement un thème très important et nous l'avons réabordé avec Serge Salvai Dai Shihan, lors de notre dernier stage national à Barret sur Méouge, remarquablement organisé par la direction de notre AFDP et par le club organisateur avec Luc, Nelly et leur équipe.

N'oublions jamais que Nanbudo est la contraction entre Nanbu, le nom de notre Doshu Soke, et Budo.
Je suis souvent revenu dans mes « petites pierres » sur ce que veut dire Budo.

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Rappelons-nous, également, que Doshu Soke présente le Nanbudo dans son premier ouvrage comme un Art Martial sous plusieurs facettes reliées :
création d'énergie, une voie, un sport, un art de vivre, une méthode d'autodéfense.

C'est avec cette boussole qu'il faut aborder la notion de Tori.

Il y a d'abord les techniques d'attaque elles-mêmes, Oi Tsuki, Mae Geri et Mawashi Geri qui doivent être exécutées, sans mouvements d'appels prémonitoires, de manière franche, respectant le Maai*, le Zanshin* et le Kime*.

La rapidité liée à la puissance de l'impact n'est pas due qu'à la vitesse de la jambe ou du bras, mais à la rapidité de l'impulsion de l'appui transmise à toute la chaine coordonnée appui/hanches/bras/main ou appui/hanches/jambes/pied.

Nous les retrouvons telles quelles dans les Randori no Kata.

Ensuite, il faut lier les déplacements avec la technique d'attaque, en respectant les mêmes notions que citées précédemment (Maai, Zanshin et Kime) et en rajoutant Hyoshi*. Nous les retrouvons dans le Kihon Ju Randori et le Ju Randori.

Pourquoi nous intéresser particulièrement au rôle de Tori ?

Parce qu'il y a une autre composante qui est celle d'Uke dans ce couple infernal (Tori, Uke) aussi irrémédiablement liés que sont Inn et Yo (Yin et Yang si vous voulez).

La codification, sans raison, sans sens, d'un Tori attaquant et d'un Uke défendant risque de déformer ce qui est recherché.

Une question se pose vite à Tori : pourquoi attaquer à fond, sachant que Uke, connaissant par avance l'attaque, va répliquer par une technique définitive ?

Pensant qu'il a perdu d'avance, et que ce n'est qu'une convention, Tori peut être tenté d'attaquer mollement et préparer sa chute par exemple.

Mais que voudrait dire, dans un art martial, cette attaque suicidaire ? Qui attaquerait en combat réel sachant qu'il a perdu d'avance ?

Un autre risque est une chorégraphie, avec souvent un Tori jeune, chutant très bien, donnant l'impression d'un Uke fabuleux, d'une confrontation très athlétique sinon acrobatique, mais qu'en est-il de la réelle efficacité de la défense ? Ce mouvement passerait-il sur une réelle attaque ?

C'est toute l'histoire du cycle de codification, décodification, recodification et ainsi de suite, pour apprendre, pour se perfectionner, pour donner du sens à ce que l'on fait.

C'est comme pour le Kata si l'on n'oublie qu'il y a des Bunkai.

Or, il n'a pas échappé aux Nanbudoka que nos exercices sont appelés Randori no Kata, Sotai Randori no Kata !

Reprenons.

Nous annonçons Tori et Uke notamment pour les Randori no Kata /Kihon Ju Randori no Kata/ Ninin Gake et chaque fois qu'il s'agit de définir les rôles apriori.

En Nanbudo, comme au Karaté, Tori est considéré comme l'attaquant et Uke comme le défenseur. Ce n'est pas le cas dans tous les arts martiaux japonais, en Aïkido, lorsque ces termes sont utilisés (parce qu'il y a quelquefois d'autres termes en Aikido), c'est l'inverse, Uke attaque et Tori défend. En Judo les deux sont possibles en fonction du travail effectué, offensif ou défensif.

Pour mieux comprendre, revenons sur ce que veut dire Tori et Uke.

En Kanji, 取 Toru, voici l'évolution de l'écriture amenant à ce Kanji

Nous voyons la main droite et l'oreille gauche. En Chine, pour prouver que l'on n'avait abattu un ennemi, il fallait prendre, saisir son oreille pour la rapporter.

Toru, c'est donc saisir, prendre. Avec le Kanji 手, te, la main, la prononciation devient Tori te et en contraction Tori.

En Kanji, 受 Ukeru, l'évolution de l'écriture amenant au kanji est :

Nous voyons une main à plat donnant un objet à une main qui la reçoit, d'où l'idée de recevoir.

Et là aussi Uke te s'est simplifié en Uke.

Même si nous pouvons dire que Tori attaque et Uke défend, nous voyons bien par ces Kanji que cela est très restrictif.

On pourrait dire que Tori est celui qui saisit, qui prend l'initiative et Uke celui qui réceptionne cette initiative.

Dans le travail coopératif par deux (c'est valable également par trois ou quatre), nous sommes en un premier temps dans un travail d'apprentissage.

Si Tori est plus expérimenté que Uke et qu'il attaque trop vite ou trop dur, Uke n'arrivera jamais à esquiver et contrattaquer, donc il n'arrivera pas à progresser.

Si Tori attaque hors distance, cela ne permettra pas, non plus, à Uke d'exécuter une bonne technique.

Si c'est Uke qui est plus expérimenté, il incitera Tori à attaquer plus vite, mieux à distance, avec plus de Kime.

Nous voyons un travail en duo, d'entr'aide, un travail d'harmonie, où Tori donne à Uke la possibilité de travailler correctement.

Et, petit à petit, l'attaque doit devenir de plus en plus franche, de moins en moins complaisante pour que Uke défende vraiment et se situe bien pour sa contrattaque. Là, Tori doit travailler l'opportunité et la rapidité de son attaque avec le Maai et le contrôle que cela implique, et par là, pousser Uke dans ses derniers retranchements.

Le fait d'esquiver tout en se protégeant permet à Tori et à Uke de se donner à fond, sans les risques d'un déséquilibre de force entre les deux protagonistes qu'il y aurait si c'était force contre force.

Dans le travail de compétition, il y a des temps ou Tori et Uke ne sont pas désignés d'avance, mais lorsqu'un compétiteur prend l'initiative d'être Tori, s'il attaque trop mollement, cela s'apparente à de la tricherie puisque Uke ne pourra pas réaliser une bonne technique.

Tori doit, par ses déplacements, sans tricheries, perturber Uke pour pouvoir lancer son attaque avec le bon Maai et avec contrôle, et soit Uke sera en difficulté pour effectuer son esquive protégée et sa contrattaque, soit il effectuera une magnifique action qu'il n'aurait pas pu faire sans un Tori « qui joue le jeu ».

Dans un travail plus martial. Sans être encore dans le combat, on rajoute de plus en plus d'incertitudes. Par exemple, Tori peut attaquer avec Oi Tsuki, ou Mae geri ou Mawashi geri. Uke se retrouve à travailler beaucoup plus Zanshin et Yomi*

Mais comme nous développons ici plutôt le rôle de Tori, que Tori soit prédéterminé, ou que ce soit dans le combat que l'un prenne l'initiative (Sen) d'attaquer, Tori doit rester Zanshin. Si Uke n'est pas dans le temps, si Uke rate sa contrattaque, si fondamentalement Uke rate le fait que Tori ne puisse pas reprendre l'initiative une seconde fois, Tori doit avoir le réflexe de réattaquer !

Tout comme Uke n'est pas passif dans les déplacements face aux déplacements de Tori, Tori n'est pas passif et se doit d'être dans un esprit de suite possible.

De retour au Randori no Kata codifié, Tori doit rester dans cette vigilance dans l'intention d'éventuellement réattaquer mais sans l'effectuer, sans esquisser le moindre geste.

Nous retrouvons la même intention, le même Zanshin à la fin d'un Kata, lorsque l'on compte 1/2/3 avant de faire le salut final. Là aussi, quel beau Bunkai lorsque l'adversaire, que l'on croyait vaincu, se relève pendant le 1/2/3 !

Ce qui est très important, c'est que Tori sache attaquer si une opportunité est à saisir.

Bien sûr, souvent, on n'a pas le temps dans l'exécution d'un Randori no Kata et encore moins une compétition, mais il faut se confronter à l'exercice : je n'attaque qu'à coup sûr ! Ce qui fait que lorsque Tori et Uke ne sont pas déterminés à l'avance, il peut arriver qu'aucun des deux n'attaque le premier, où que l'un provoque l'autre pour l'amener à attaquer et être en situation de force comme Uke.

Beaucoup est encore à dire et travailler, je n'ai qu'effleuré le sujet et suis resté dans le cas classique de travail à deux, applicable à trois ou quatre.

Par exemple, si l'un prend l'initiative, Sen, d'être Tori et d'attaquer le premier, mais sans y penser, sans le choisir, sans intention tel un réflexe, donc si Tori lui-même ne savait pas qu'il allait attaquer, comment Uke peut-il percevoir l'intention de l'attaque et anticiper ?

Pour résumer, si Tori n'existe pas sans Uke et si Uke n'existe pas sans Tori, il n'y a aucune hiérarchie entre les deux, aucune dépendance à sens unique.

Le rôle de Tori est aussi primordial que celui de Uke.

Encore une fois, Tori doit savoir attaquer, profiter d'une opportunité ou savoir créer cette opportunité d'attaquer et ne pas attaquer pour perdre.

Uke en Sen no Sen, doit savoir attaquer dans l'attaque de Tori, encore faut-il qu'il sache attaquer.

Uke en SenSen no Sen, se transforme en Tori, encore faut-il qu'il soit capable d'attaquer.

À bientôt sur les tatamis ou le sable de Playa de Aro

Je vous embrasse

                                                                                        Carel Stéphane Daï Shihan

*J'ai développé toutes ces notions dans mes « petites pierres » XXXXIII et XXXXIV.

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