Les petites pierres de Daï Shihan XXXXIII : Récapitulatif de notions essentielles.

Publié le 31/01/22
AFDP Nanbudo
Les petites pierres de Daï Shihan XXXXIII : Récapitulatif de notions essentielles.

J'aborde souvent en cours, qu'ils soient théoriques, pratiques, théorico-pratiques, cinq notions :

Maai, Zanshin, Kime, Yomi et Hyoshi.

Les trois premières ont souvent été abordées par Nanbu Doshu, et j'ai rajouté les deux dernières, le tout étant essentiel, à mes yeux, à la culture Budo.
Il n'y a pas, pour moi, de hiérarchie entre ces notions, et elles sont entremêlées.
Je récapitule (vous pouvez dire également il radote !)

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Maai 間合 :

Maai est constitué de deux Kanji.
Le premier, Ma, représente l'interstice entre les portes, entre les volets, entre les rideaux par lequel le soleil se voit, d'où les notions d'intervalle, de temps, de durée.
Le deuxième, Ai, représente la foule, la bouche, la parole, d'où l'on peut imager que les gens pour parler se rassemble, se rencontrent.
Ma-Ai, c'est l'espace-temps qui sépare deux adversaires et par extension la distance.
Doshu insistait beaucoup sur la distance de sécurité, c'est-à-dire la distance qui permet de ne pas être surpris par l'attaque de l'autre. On voit bien que ce n'est pas qu'une distance matérielle et que selon la rapidité, l'allonge, le mental, nous sommes plus dans l'espace-temps.


Si Aka rentre dans le cercle du milieu, il va pouvoir toucher Aoi, mais il peut être touché également : cet espace au milieu est le lieu où tout peut se passer, un lieu de rencontre, un lieu de création, construction et/ou de destruction.

Bien sûr, sans parler de la rapidité, les paramètres de différence de taille et de possession d'armes plus ou moins longues modifient le Maai.
Etre dos au mur, ou avoir plusieurs adversaires modifie également le Maai.
Après, ou en même temps que l'esquive d'une attaque, la riposte atémi de la main, atémi du pied, saisie, projection etc… demandent un Maai différent.

Les Randori no kata, les Sotai Randori no kata, les Ninin Gake, les kata Bunkai et enfin le shiai ou le Kumité permettent de travailler le Maai en multipliant les situations différentes afin d'engranger des sensations permettant de le ressentir au mieux.
Mais je reviens au début de mon propos : la distance de sécurité , elle n'est pas assez travaillée, pas assez ressentie, pas assez naturelle ! Cela révèle certainement une sous-estimation de l'adversaire, sans risque autre que de perdre bêtement un point en compétition, parfois d'un égo démesuré, souvent d'une non habitude du contact dur.

Le combat n'est souvent considéré qu'à son moment ultime, dans le fameux cercle du milieu, et qui peut ne durer que quelques centièmes de secondes, surtout s'il y a une arme blanche.

Mais le combat a commencé bien avant : l'attitude, la prise de conscience du nombre d'adversaires, la prise de conscience des armes éventuellement détenus par l'adversaire, les déplacements, les tentatives de désamorçage ou de désescalade qui peuvent avorter, sa respiration et éventuellement celle de l'adversaire etc…etc… et le Maai, LE MAAI, LE MAAI, LE MAAI !

On voit bien que dans les combats de sabre, même si ce n'est que dans les films, les combattants partent de très loin : eh oui ! on ne va pas au combat qui va se solder par un mort ou deux comme cela !!!

Bien au-delà de l'explication intellectuelle du Ma-Ai, comme pour les autres notions qui vont être abordées, par la répétition, par la variation des situations, le Ma-Ai doit se ressentir jusqu'à faire partie de soi-même.

Lié au Ma-Ai, je vais aborder maintenant Zanshin.

Zanshin 残心

Shin, vous connaissez certainement, c'est le coeur, l'esprit, le sentiment.
Il se prononce aussi Kokoro (une des prononciations on, pour simplifier, chinoise) ! Doshu nous en a parlé souvent et cela a fait l'objet de mes « petites pierres » XXXIII.
Zan vient d'un pictogramme où l'on voit 2 lames, 2 couteaux et un os : l'os qui reste, subsiste quand on a soigneusement gratté la viande avec son couteau.
Zanshin pourrait littéralement signifier l'esprit qui demeure.
Zanshin est un état de calme apparent, de vigilance, l'esprit n'étant fixé ni sur le corps, ni sur une intention. Zanchin n'attend rien, et ce, avant, pendant et après le combat.
Mizu no Kokoro, l'esprit de l'eau, à la fois dans un état de calme total et sensible à toutes les stimulations, comme l'eau qui est sensible au plus petit des souffles du vent.
Le fait de ne se fixer sur rien permet d'être prêt à tout et de réagir dans l'instant !
Zanshin est la manifestation d'un mental libre.
Zanchin est très lié à Ma-Ai. Randori no kata permet de travailler la distance de sécurité, le positionnement avec l'esquive protégée pour la riposte adaptée, le repositionnement après chaque échange.
Zanchin est présent dans le salut.
Zanchin est présent ET SE VOIT dans le salut du début du Kata et même avant le salut, dans la garde protégée après la dernière technique, dans le salut final.
Il y a très certainement plusieurs Zanshin avant et après l'affrontement : passant d'une situation sans risque à une situation où le danger est de plus en plus grand jusqu'à devenir imminent et inversement en fin de combat.
Par exemple Kufu est un stade avancé de Zanshin, plus proche de l'action, mais toujours sans intention.
La pratique codifiée permet la transmission pour une pratique décodifiée, la pratique décodifiée permet de donner du sens à la pratique codifiée, et ce, en un éternel va et vient.
Miyamoto Musashi, dans le Gorin no Sho avec la traduction de Kenji Tokitsu, écrit :

« Dans la loi de la stratégie, l'état d'esprit n'a pas à être distinct de l'ordinaire. Dans la vie quotidienne aussi bien qu'en stratégie, il faut avoir l'esprit ample et le garder bien droit, pas trop tendu une nullement détendu.  Afin que l'esprit ne soit pas trop d'un côté, il faut le placer au centre et le mouvoir calmement, pour qu'il ne cesse de se mouvoir, même aux instants de changement. Tout cela il faut bien l'examiner. Lors même du calme, l'esprit n'est pas calme ; lors même d'une grande rapidité, l'esprit n'est nullement rapide. L'esprit ne doit pas être entraîné par le corps, ni le corps par l'esprit. L'esprit doit être prudent lorsque le corps reste son garde. L'esprit ne doit pas être insuffisant, ni déborder si peu que ce soit. Lorsque que la surface de l'esprit est faible, le fond doit en être solide pour que l'adversaire ne perçoivent pas l'état d'esprit. Ceux qui sont petits (en taille et en nombre) doivent bien connaître ceux qui sont grands (en taille et en nombre) et ceux qui sont grands doivent connaître ceux qui sont petits. Les grands comme les petits doivent garder l'esprit droit sans se surestimer. Il faut maintenir l'esprit pur et ample, et la sagesse trouvera place en cette ampleur. L'important est de polir minutieusement la sagesse et l'esprit. Si vous affûtez la sagesse, vous comprendrez le juste et l'injuste de la société, et aussi le bien et le mal de ce monde ; puis vous connaîtrez toutes sortes d'arts et vous traverserez différentes voies ; ainsi personne en ce monde ne parviendra à vous tromper. C'est ensuite que vous parviendrez à la sagesse de la stratégie. La sagesse de la stratégie est tout à fait distincte. Même en plein milieu d'une bataille où tout bouge rapidement, il faut atteindre au principe le plus profond de la stratégie qui vous assure un esprit immeuble.  Il faut bien y réfléchir. »

Miyamoto Musashi nous fait part de son expérience de combat après des dizaines de duels mortels et des guerres, dans une période ou la voie du sabre et la vie ne sont pas distinctes, 24h sur 24h !

Il est donc difficile de comprendre et de transposer à aujourd'hui.

Mais cela traduit que dans le combat, l'esprit n'étant fixé sur rien, le corps réagit instantanément avant d'y réfléchir. Le temps du combat nous situe dans un autre univers où la verbalisation est impossible et même après coup, nous obligeant à passer par des images, des contes.

Zanshin est relié à bien des concepts comme Fudo Shin, l'esprit immuable, l'esprit imperturbable, Mu Shin, l'esprit vide, nous amenant au célèbre livre de Soho Takuan , Fudochi Shinmyo Roku : récit mystérieux de la sagesse immuable ou livre divin de l'imperturbable sagesse.

Ce livre de ce moine Zen avait été écrit à l'attention du maitre de sabre du Shogun, Yagyu Munenori, contemporain de Miyamoto Musashi, lequel a été également formé par Takuan.

Il termine son livre par une poésie ancienne :

C'est l'esprit
qui fait égarer
l'esprit.

Ne relâchez pas
votre esprit !

Tout cela est difficile à appréhender et il n'y a qu'une solution : pratiquer, pratiquer, en cours, en stage, dans sa tête etc. etc.

La suite, Kime 決め, Yomi 読み, Hyoshi 拍子, sera l'objet des prochaines « petites pierres »

Je vous embrasse.
Carel Stéphane Daï Shihan

 

 

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